Les confessions d'un agent secret israélien

par Victor Ostrovsky et Claire Hoy
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Voir le site de Victor Ostrovsky : http://www.victorostrovsky.com

[Note préliminaire : Victor Ostrovsky a grandi en Israël, bien que né au Canada. A dix-huit ans, il est devenu le plus jeune officier de l'armée israélienne, puis il fut promu au grade de lieutenant en charge des tests d'armes pour la marine. Il a été officier du Mossad de 1984 à 1986. Le livre (en anglais) de Victor Ostrovsky peut être commandé sur http://www.amazon.com : "By Way of Deception : The Making and Unmaking of a Mossad Officer" ("Par la tromperie : construction et démolition d'un officier du Mossad") par Victor Ostrovsky et Claire Hoy - 371 est paru en octobre 1990 aux éditions St Martin's Press - 371 pages - ASIN : 0312056133. Est-il besoin de le mentionner, le lobby israélien a exigé (et obtenu, dans une large mesure) une mise à l'index de cet ouvrage, tandis que des experts pro-israéliens s'ingéniaient à tenter de le descendre en flammes à chaque fois que l'opportunité leur en était offerte.]

Révéler les faits dont j'ai été amené à connaître en ayant eu le privilège insigne de passer quatre années de ma vie au Mossad ne fut pas pour moi chose aisée.
Venant d'un milieu ardemment sioniste, on m'avait inculqué que l'Etat d'Israël était absolument incapable de toute mauvaise action. Que nous étions David, dans une lutte éternelle contre un Goliath monstrueux et d'année en année plus puissant. Que personne ne nous protégerait si nous venions à être menacés, et que nous ne devions compter que sur nous-mêmes. Ce sentiment était, de plus, corroboré par les survivants de l'Holocauste, qui vivaient parmi nous.
Nous, la nouvelle génération d'Israélites – la nation ressuscitée sur sa propre terre, après plus de deux millénaires d'exil – étions dépositaires du sort d'une nation entière.
On appelait les commandants de nos armées « héros » et non pas « généraux ». Nos dirigeants étaient des sortes de grands timoniers tenant bon la barre d'un navire géant. En apprenant que j'avais été sélectionné pour le Mossad, j'étais sur un petit nuage : c'était pour moi un immense honneur, un privilège insigne, d'entrer dans ce corps d'élite.
Mais ce que j'allais y découvrir, c'est la perversion des idéaux et un pragmatisme autiste, couplé à la rapacité, à la dépravation et à l'absence totale de respect pour la vie humaine, de cette soi-disant « équipe ». C'est ce qui m'a poussé à écrire ce livre, afin de témoigner sur ce que j'ai vu.
C'est par amour pour Israël, mon pays – un pays libre et juste – que je mets ici ma propre vie en jeu, en osant défier ceux qui se sont arrogé le droit de faire du rêve sioniste le cauchemar éveillé qu'il est devenu aujourd'hui.
Le Mossad, en tant que service de renseignements investi de la responsabilité d'écrire le scénario que devront suivre les dirigeants présidant aux destinées du pays, a trahi la confiance placée en lui. Complotant pour son propre compte, au service d'objectifs à courte vue et égoïstes, il a placé la nation sur la trajectoire de la guerre totale.
L'un des principaux thèmes de cet ouvrage est mon intime conviction que le Mossad a échappé à tout contrôle et que même le Premier ministre, en apparence (mais en apparence, seulement), aux manettes, n'a pas d'autorité réelle sur les décisions qu'il est censé prendre.
Victor Ostrovsky, ancien agent du Mossad, a consacré deux ouvrages au terrorisme d'Etat israélien prenant pour cible les ennemis d'Israël, afin de les ‘neutraliser'. Dans l'un de ces deux ouvrages, il expose le sort de Palestiniens qui avaient pénétré clandestinement en territoire israélien, à la recherche d'un emploi en Israël.

Plusieurs milliers de ces jeunes hommes ont tout simplement disparu ; personne n'a plus jamais eu aucune nouvelle à leur sujet, après qu'ils eurent été capturés par l'armée israélienne. Certains d'entre eux ont été emmenés au centre de recherches ultra-secret ABC, où ils subissent les horreurs indescriptibles d'expérimentations d'armes chimiques, biologiques et nucléaires, pour lesquelles on leur fait jouer le rôle de cobayes.

Le Mossad – je sais, cela paraît incroyable – n'a que 30 ou 35 officiers spécialisés, les ‘katsas', en opération en même temps à travers le monde entier. L'explication principale de cet effectif extraordinairement est qu'à la différence des autres pays, Israël peut mettre à contribution tout un réseau loyal et très développé, dans le monde entier, au sein de la communauté juive de la diaspora. Cela est réalisé au moyen d'un système unique en son genre, celui des ‘sanayim', qui sont des supplétifs volontaires juifs (diasporiques) (du Mossad).
Durant mes six premières semaines au Mossad, il ne se passa pas grand-chose. Je travaillais dans un bureau en centre-ville ; mon travail était essentiellement celui de n'importe quel employé de bureau. Mais, par une journée glaciale de février 1984, j'embarquai dans un minibus, en compagnie de quatorze autres agents… C'était l'effectif d'une promotion de ‘cadets' du Mossad, qui portait le nom de Cadet 16. En effet, c'était la seizième de la série.
Le formateur entra en trombe dans la pièce et alla s'asseoir au bureau, tandis qu'avec les autres, nous nous assîmes au fond de la salle. « Je m'appelle Aharon Sherf », dit-il. « Je suis le directeur de l'Académie. Bienvenue au Mossad ! Le nom complet du service est : Ha-Mossad le-Modiyn ve le-Tafkidim Mayuhadim [Institut du Renseignement et des Opérations Spéciales]. Notre leit motif est le suivant : « Par la ruse, la guerre tu feras. »
« C'est le vieux truc du Trojan ». Il alluma un clope.
« Qu'est-ce que c'est, le « truc du Trojan ? » Je ne pouvais m'empêcher de sourire bêtement : je n'avais jamais entendu parler de cette opération en ces termes.
« Je savais que cela allait vous intriguer », reprit-il, avec un sourire entendu. « Shimon a lancé l'Opération Trojan, en février de cette année. »
J'acquiesçai. J'étais déjà au Mossad quand cet ordre avait été donné et, en raison de ma formation navale et de ma familiarité avec la plupart des commandants dans la marine israélienne, j'avais participé à la préparation de l'opération, en tant qu'agent de liaison avec la marine.
Un Trojan, c'est un appareil de communications très particulier, qui peut être implanté profondément en territoire ennemi par des commandos. Cet appareil, une fois placé en un lieu idoine, pourra servir de station relais permettant de diffuser des informations volontairement trompeuses, produites par l'unité de la désinformation du Mossad, appelée LAP, et conçues pour être captées par les stations d'écoute américaines et britanniques. Provenant d'un bâtiment de l'armée israélienne croisant au large, les émissions digitales préenregistrées seront alors rediffusées sur une autre fréquence – une fréquence utilisée pour des communications officielles dans le pays ennemi – ce après quoi elles finiront par être interceptées par les ‘grandes oreilles' américaines, en Grande Bretagne.
Les auditeurs intercepteurs ne douteront pas un instant avoir intercepté une communication authentique, et c'est de là que découle le nom de Trojan, qui évoque le mythique cheval de Troie. Ensuite, le contenu des messages, une fois déchiffré, confirmera des informations provenant d'autres sources du renseignement. En l'occurrence : du Mossad… Le seul problème était que le Trojan lui-même devrait être déposé aussi près que possible de la source normale de ce genre de transmissions, en raison des méthodes très sophistiquées de trigonométrie (triangulation) que les Américains, et les autres services de renseignements, ne manqueraient pas d'utiliser afin de s'assurer de ‘leur' source.
Dans l'opération particulière à laquelle Ephraim faisait allusion, deux unités d'élite de l'armée s'étaient vu confier la responsabilité d'aller implanter l'appareil Trojan dans l'emplacement le plus approprié. Une de ces unités était l'unité de reconnaissance Matkal. L'autre était la Flottille 13 : elle est composée de commandos marins. Les commandos furent chargés de ‘planter' l'émetteur Trojan en un endroit précis de la capitale libyenne, Tripoli.
Dans la nuit du 17 au 18 février, deux vedettes lance-missiles israéliennes - le SAAR Moledet de 4ème classe, armé de missiles surface-surface Harpoon et Gabriel (entre autres munitions) et le Geula, un navire lance-missile de classe Hohit, avec piste de décollage pour hélico et l'armement habituel d'un SAAR 4 – effectuaient ce qui ressemblait à une patrouille de routine en Méditerranée, et faisaient route vers le détroit de Sicile, en passant juste au ras des eaux territoriales libyennes. Juste au nord de Tripoli, les deux bâtiments de guerre, qui apparaissaient tous deux sur les écrans radars tant à Tripoli que dans l'île italienne de Lampedusa, ralentirent l'allure, descendant jusqu'à quatre nœuds – vitesse permettant sans problème la mise à l'eau d'une équipe de douze commandos marins, à bord de quatre sous-marins ‘humides' (c'est-à-dire, sans habitacle étanche : ce sont des engins comme en utilisent parfois les amateurs de plongée sous-marine, mais militaires et armés, ndt), que les militaires surnomment ‘cochons' ainsi que deux hors bords ultra rapides et extra plats, que les militaires surnomment ‘oiseaux'. Les ‘cochons' pouvaient tracter deux commandos chacun, avec tout leur équipement de combat.
Les ‘oiseaux', équipés chacun d'une mitrailleuse MG de 7,62 mm de calibre, montée sur la proue et d'un stock de missiles antitanks portables (sur l'épaule, comme les bazookas), pouvaient emmener chacun six commandos, tout en remorquant les ‘cochons' inutilisés. Les ‘oiseaux' amenèrent leurs ‘cochons' aussi près que possible de la rive, réduisant d'autant, ce faisant, la distance que les ‘cochons' auraient eu à couvrir s'ils eussent été utilisés depuis les deux vedettes lance-missiles. (Ces ‘cochons' sont submersibles silencieux, mais relativement lents).
Arrivés à deux miles marins au large de la côte libyenne, les lumières de Tripoli étaient visibles : elles scintillaient, plus au sud-ouest. Huit commandos se glissèrent doucement à l'eau, s'arrimèrent à leurs ‘cochons' et ils se dirigèrent vers la côte. Les ‘oiseaux' restèrent en arrière, face au point de rendez-vous, prêts à parer à toute éventualité. Une fois sur la plage, les commandos abandonnèrent leurs engins en forme de cigare, au fond d'une eau peu profonde, et ils se dirigèrent à l'intérieur des terres, portant un cylindre vert foncé, de six pieds de long et sept pouces de diamètre : le Trojan ! Un homme seul ne pouvait le porter : ils étaient deux à le faire.
Une camionnette grise était arrêtée, à environ cent pieds du bord de la mer, sur le bas-côté de l'autoroute reliant Subratah à Tripoli, et qui se poursuit ensuite jusqu'à Benghazi. A cette heure avancée de la nuit, le trafic était pour ainsi dire nul. Le conducteur de la camionnette grise semblait en train de réparer un pneu crevé. Il s'arrêta d'y travailler lorsqu'il vit le commando approcher, et ouvrit les portières arrières. C'était, lui aussi, un combattant du Mossad. Sans un mot, quatre des hommes montèrent dans la camionnette, et ils démarrèrent : direction : Tripoli. Les quatre autres retournèrent à la mer, où ils prirent des positions défensives, près des ‘cochons' immergés. Leur fonction consistait à maintenir cette position, afin d'assurer une voie de repli pour l'équipe qui fonçait vers la capitale.
Sur ces entrefaites, une escadrille d'avions de combat israéliens se ravitaillaient, au sud de la Crête , prêts à apporter assistance. Ils étaient capables de maintenir à bonne distance des commandos toute force terrestre (libyenne), en leur assurant ainsi une voie de repli, bien qu'imparfaitement sure. A ce moment-là de l'action, la petite unité de commandos se divisa en trois sous-groupes – elle se retrouvait ainsi dans la phase la plus délicate de toute l'opération. Eût l'un quelconque des détails fini aux mains des forces ennemies, ils avaient l'ordre d'observer la plus extrême prudence, à moins que l'ennemi n'engage les hostilités.
La camionnette alla se garer derrière un immeuble situé sur la Rue Jumhuriyyah , à Tripoli (Rue de la République ), à moins de trois blocs d'immeubles de la caserne de Bab al-Aziziyyah, connue pour abriter le quartier général et la résidence privée de Qaddhafi. A ce moment-là, les hommes de la camionnette s'étaient changés : ils s'étaient déguisés en civils. Deux d'entre eux restèrent dans la camionnette, pour faire le guet, et les deux autres aidèrent les combattants du Mossad à monter le précieux cylindre (le Trojan) sur la terrasse de l'immeuble, qui comportait cinq étages. Le Trojan avait été roulé dans un tapis !
Dans l'appartement, une des extrémités du cylindre fut ouverte, un petite antenne parabolique en fut extraite, puis placée devant une fenêtre orientée au nord. L'unité émettrice fut activée : le cheval de Troie était dans la place !
L'agent du Mossad avait loué l'appartement pour une durée de six mois, et il avait payé la location cash et d'avance. Personne ne pouvait donc avoir le moindre soupçon en voyant l'agent secret déguisé en locataire y pénétrer. Inversement, personne d'autre n'avait rien à faire dans cet appartement. Toutefois, dût un intrus avoir le malheur de pénétrer dans cet appartement, le Trojan se serait autodétruit, emportant dans sa formidable déflagration l'ensemble de la partie supérieure de l'immeuble. Les trois hommes retournèrent à la camionnette, puis ils roulèrent vers leur rendez-vous avec leurs amis, ‘à la plage'.
Après avoir déposé les commandos sur la plage, le combattant retourna à vive allure à Tripoli, où il avait pour mission de surveiller le travail de transmissions et de désinformation du Trojan durant les semaines à venir. Les commandos, une fois sur la plage, ne traînèrent pas eux non plus, et ils prirent le large, grâce à leurs ‘cochons' et leurs ‘oiseaux'. Ils n'avaient pas du tout envie de se faire pincer dans les eaux libyennes à la levée du jour. Ils se dirigèrent donc, en poussant à plein régime leurs cochons trop poussifs à leur goût, vers un point de rassemblement convenu à l'avance, où ils retrouvèrent les deux vedettes lance-missiles, qui les hissèrent à bord.
Vers la fin du mois de mars, les Américains commençaient déjà à intercepter des messages diffusés par le Trojan, qui était activé seulement durant les heures de pointe de transmission de télécommunications. Grâce au Trojan, le Mossad s'efforçait de donner à penser qu'une longue série d'instructions en vue d'attentats terroristes était en train d'être transmise aux différentes ambassades libyennes à travers le monde entier (ou, plus exactement, pour reprendre la terminologie des Libyens eux-mêmes, les différents « Bureaux Populaires »… ) Conformément aux attentes du Mossad, les messages transmis (par le Trojan) furent déchiffrés par les Américains, qui les présentèrent comme la preuve irréfutable que les Libyens soutenaient activement le terrorisme. Pour enfoncer le clou, des rapports du Mossad venaient systématiquement confirmer les accusations comminatoires américaines ! ! !
Toutefois, ni les Espagnols ni les Français n'étaient dupes. Ils ne gobaient pas ce flot subit d'informations. Il leur semblait extrêmement suspect que soudain, de but en blanc, les Libyens, qui avaient fait montre d'une prudence de Sioux, jusqu'alors, se mettent du jour au lendemain à faire de la publicité pour leurs supposés actes terroristes futurs. Ils trouvaient suspect, aussi, qu'à plusieurs reprises les rapports du Mossad aient été rédigés en des termes très proches des messages codés libyens. Ils avançaient – plus important – l'argument que s'il y avait eu, effectivement, des messages codés libyens rendant compte d'attentats avérés, l'attentat contre la discothèque La Belle , à Berlin Ouest, commis le 5 avril, aurait pu être évité, car il y aurait sûrement eu des messages concernant cette attaque avant qu'elle ne soit perpétrée, ce qui aurait permis aux services d'écoute de la prévenir. Etant donné que cet attentat n'avait pas pu être évité, ils pensaient que ce n'était pas les Libyens qui en étaient à l'origine, et que les « nouvelles communications » soi-disant libyennes étaient un leurre. Les Français et les Espagnols voyaient juste. L'information était bidon, et le Mossad ne disposait pas du moindre indice sur qui avait bien pu déposer la bombe qui tua un soldat américain et en blessa plusieurs autres, dans cette discothèque berlinoise. Mais le Mossad était lié à la plupart des organisations terroristes européennes, et il était convaincu que, dans l'atmosphère trouble qui s'était emparée de l'Europe à cette époque-là, un attentat causant une victime américaine était dans l'ordre des choses : ce n'était qu'une question de temps. Les dirigeants du Mossad comptaient sur la promesse que les Américains leur avait faite (qu'en cas d'attentat contre eux), ils se vengeraient au centuple sur tout pays dont il aurait pu être prouvé qu'il soutenait le terrorisme. Le Trojan fournit aux Américains la ‘preuve' dont ils avaient besoin. Le Mossad se chargea d'introduire dans l'équation l'image de lunatique dont était affublé Qaddhafi, ce qui n'était pas difficile en raison de ses multiples déclarations tonitruantes, qui n'étaient destinées, en réalité, qu'au seul usage interne…
Il faut se rappeler qu'à l'époque, Qaddhafi avait en quelque sorte tracé une ligne passant au large, fermant le Golfe de Sidra qu'elle transformait de facto en eaux territoriales libyennes, et qu'il qualifiait la nouvelle frontière passant au milieu de la mer de « ligne de la mort » (ces agissements n'avaient pas peu contribué à endommager son image de dirigeant modéré). Finalement, les Américains tombèrent tête baissée dans le piège tendu par le Mossad, entraînant les Anglais et les Allemands derrière eux, bien que ces derniers traînassent quelque peu les pieds. L'opération Trojan fut l'un des plus grands succès remportés par le Mossad. Elle entraîna le bombardement aérien de Tripoli, promis par le président américain Reagan – et ce bombardement eut trois conséquences extrêmement importantes. Tout d'abord, il fit tourner court un compromis qui aurait permis de libérer les otages américains au Liban, chose qui permettait de conserver au Hizbullah (Parti de Dieu) son statut - très précieux pour Israël - d'ennemi numéro Un aux yeux de l'Occident. Ensuite, le bombardement américain sur Tripoli envoya un message à l'ensemble du monde arabe, lui signifiant très précisément où les Etats-Unis en étaient, quant au conflit arabo-israélien. Enfin, il redorait l'image du Mossad, puisque c'était lui qui, par un habile tour de prestidigitation, avait incité les Etats-Unis à faire ce qui convenait ! Seuls les Français ne mordirent pas à l'hameçon du Mossad, et ils restèrent déterminés à ne pas prêter une quelconque assistance à l'agression américaine. Les Français refusèrent le survol de leur territoire aux bombardiers américains, en vol pour leur sinistre besogne en Libye.
Le 14 avril 1986, cent soixante bombardiers américains lâchèrent soixante tonnes de bombes sur la Libye. Les attaquants bombardèrent l'aéroport international de Tripoli, les casernes de Bab Al-Aziziyyah, la base navale de Sidi Bilal, la ville de Benghazi et le terrain d'aviation de Benine, dans la banlieue de cette dernière grande ville. L'escadrille de bombardiers consistait en deux ensembles principaux, l'un venait d'Angleterre et l'autre avait décollé de porte-avions voguant en Méditerranée. D'Angleterre vinrent vingt quatre F-111, depuis la base de Lakenheath, cinq EF-111 d'Upper Heyford et vingt-huit tankers de ravitaillement qui avaient décollé de Mildenhall et de Fairford. Durant l'attaque, les F-111 et les EF-111 de la Royal Airforce furent rejoints par dix huit avions d'attaque et de soutien A-6 et A-7, six avions de combat F/A-18, quatorze avions de brouillage électronique EA-6B, ainsi que d'autres avions de soutien logistique. Les avions de la US Navy furent catapultés par les porte-avions Coral Sea et America. Du côté libyen, on enregistra environ quarante morts. Tous, des civils, dont la fille adoptive de Qaddhafi. Du côté américain, un pilote ainsi que son officier servant furent tués dans l'explosion de leur F-111…
Immédiatement après les bombardements américano-anglo-allemands en Libye, le Hizbullah mit fin aux négociations autour des otages qu'il retenait au Liban, et il en exécuta trois, dont Peter Kilburn, un Américain. Quant aux Français, ils furent remerciés de leur attitude de non-participation dans l'attaque anti-libyenne par la libération, à la fin juin, de deux journalistes français retenus en otages à Beyrouth. (Comme de juste, une bombe ‘perdue' avait endommagé l'ambassade de France lors du bombardement de Tripoli…)
Ephraïm venait donc de tout raconter, confirmant ce que je savais déjà. Puis il poursuivit. « Après le bombardement en Libye, notre ami Qaddhafi va certainement être en dehors de la photo pour encore quelque temps. L'Irak et Saddam Hussein sont la prochaine cible. Nous commençons dès maintenant à en faire le grand méchant loup. Cela prendra un peu de temps, mais à la fin, une chose est sûr : ça marchera ! »
« Mais Saddam n'est-il pas considéré comme plutôt modéré à notre égard, puisqu'il est allié à la Jordanie et qu'il est l'ennemi juré de l'Iran et de la Syrie ? », objectai-je.
« Ouaip… C'est bien pour ça que personnellement, je suis contre cette mission. Mais ce sont les ordres, et je dois les suivre. Heureusement, vous et moi, nous aurons terminé nos petites manigances avant que quoi que ce soit de géant n'arrive. Après tout, nous avons déjà détruit les installations nucléaires de Saddam, et nous sommes en train de nous faire des c..il..s en or en lui vendant de la haute technologie et des équipements, par l'intermédiaire de l'Afrique du Sud… »
Au cours des semaines suivantes, on eut droit à un flot croissant de révélations toutes plus alarmantes les unes que les autres au sujet des éléments de la machine de guerre de Saddam, dont le fameux ‘canon géant' ! Le Mossad a fait tout ce qu'il a pu, jusqu'à la quasi saturation du monde parallèle de l'espionnage, afin de diffuser des informations sur les intentions malveillantes de Saddam la Menace , en misant sur le fait que celui-ci aurait à sa disposition une longueur de corde suffisante pour se pendre, avant longtemps. Le but global du Mossad était extrêmement clair. Il voulait que l'Ouest mène sa guerre à sa place, comme les Américains l'avaient fait en Libye, en bombardant Qaddhafi. Après tout, Israël ne possédait pas d'avions gros porteurs ni d'une énorme puissance aérienne, et bien qu'il eût démontré sa capacité à bombarder un camp de réfugiés (palestiniens), à Tunis, ce n'était pas la même chose. Les dirigeants du Mossad savaient que s'ils pouvaient faire apparaître Saddam comme quelqu'un de suffisamment mauvais, représentant une menace pour les approvisionnements pétroliers en provenance du Golfe, dont il avait été jusqu'alors le protecteur, dans une certaine mesure, alors les Etats-Unis et leurs alliés ne le laisseraient pas obtenir quoi que ce soit, mais prendraient des mesures qui ne pourraient qu'entraîner la destruction totale de son armée et de son potentiel en armement, tout particulièrement si l'on parvenait à leur faire croire qu'il s'agissait là de leur dernière opportunité, avant que Saddam ne devienne "nucléaire"…