"A Shafa'Amr, nous avons découvert que nos mains étaient enchaînées"

Ameer Makhoul, directeur général de l'Union des associations civiles arabes, Ittijah - Haïfa 21 août 2005    

Au-delà de l'effroyable massacre de Shefa'Amr qui a fait volé en éclats toutes les illusions des garanties accordées par la citoyenneté, et qui a constitué un événement plus important que ceux auxquels se sont habitués le mouvement politique et les institutions palestiniennes de l'intérieur, étant donné qu'il va au-delà de leurs capacités actuelles à y faire face, cet événement va nous pourchasser tant que nous ne le poursuivrons pas, ou si nous n'en tirons pas les leçons ou que nous nous préparons pas à faire face aux dangers de l'avenir, dans le cadre du partage des tâches et des prix palestiniens.

Si nous réalisons pas la duperie consistant à croire que ce qui s'est passé n'est qu'un simple événement, les prochains coups seront encore plus douloureux, car le terrorisme juif a les mains libres. 

Semblable au massacre de Shefa'Amr, un autre massacre terroriste a eu lieu la semaine dernière, exécuté par un colon à Shilo, en Cisjordanie, et la mosquée de Hassan Beik de Yafa a été profanée et agressée, comme l'ont été nos sentiments.

Tout ceci indique l'existence d'un racisme sanguinaire organisé, et même un état et un climat autorisant non seulement une organisation terroriste organisée au niveau du pays, mais tout raciste terroriste, à s'inspirer de son imagination pour tirer sur nous, où qu'il se trouve.

En face, l'indicateur officiel le plus important pour nous concernant la poursuite du massacre est la décision des appareils du pouvoir et de la sécurité d'enquêter sur les habitants de Shefa'Amr à propos de l'"agression" sur le soldat terroriste israélien et son meurtre dans ce qu'ils ont appelé le lynchage, ce qui constitue un coup moral asséné au coeur même de notre unité et une tentative de susciter la division entre les gens, et de transposer le conflit vers un conflit entre nous au lieu qu'il soit avec la réalité israélienne qui a donné naissance à ce terroriste comme à d'autres.

L'institution s'est lavée les mains de ce crime et de sa responsabilité envers lui, et a adopté une attitude de sympathie envers nos masses, comme si elle nous considérait faisant partie de leur monde "civilisé", victimes du terrorisme, pour régler les comptes avec nous en menant des enquêtes policières et sécuritaires pour découvrir ceux qui ont tué le soldat israélien et les faire comparaître en justice au nom de la loi et des valeurs militaires israéliennes.

Avant de discuter la dimension morale ou l'accusation morale que les plumes de certains confrères ont lancée, il faut préciser que les gens vivent sans aucune protection, nos masses vivent dans leur pays sous un régime raciste et une rue raciste et sanguinaire.

Personne parmi nous, ni les mouvements ni les institutions, ne peuvent protéger les gens et leur assurer un quelconque état de sécurité.

Là se pose la problématique consistant à définir aux gens ce qui est permis et ce qui est interdit, de leur demander de suivre une voie tracée par la raison, que nous proposons à leur place, alors que le cas des voyageurs du bus de Shefa'Amr, ceux qui furent tués par le terroriste et ceux qui ne le furent pas, relève du simple hasard.

L'autre remarque concerne le fait qu'il n'y a pas de supériorité morale génétique, la question n'est pas de mettre face à face notre morale face à celle de l'Etat d'Israël, mais de se demander pourquoi nous avons adopté leur situation, nous les Palestiniens dans notre patrie, et dans leur Etat, l'Etat des Juifs.

Leur Etat les protège quels que soient leurs comportements parce qu'ils sont Juifs, et c'est leur Etat qui leur offre nos droits, jusqu'à notre droit à la vie, parce que nous sommes Palestiniens, et parce que c'est l'Etat Juif, l'Etat des Juifs, avec ses dimensions coloniales et racistes.

Les valeurs militaires israéliennes sont des valeurs militaires dans leur fondement, et ne sont pas pour nous un critère moral.

Elles engagent par principe les Etats et les régimes selon des critères internationaux, comme pour les assassinats des prisonniers etc...

Beaucoup se souviennent du bus 300 dans les années 80, lorsqu'un des dirigeants des renseignements israéliens a assassiné un combattant, les mains enchaînées.

Mais Israël a commis des crimes collectifs tout au long de son histoire agressive envers les prisonniers de guerre, enchaînés.

De plus, demander aux gens qui "ont vu la mort de leurs propres yeux" d'avoir un comportement mûr et réfléchi, de planifier avec sang-froid la meilleure façon d'utiliser les médias pour dénoncer le racisme, au cours du procès du terroriste et dénoncer la complicité israélienne officielle, signifie blâmer les gens qui n'ont pas exécuté "ce qu'on attendait d'eux".

Il s'agit tout simplement d'un comportement de fonction, et non pas moral, le critère étant l'utilisation fonctionnelle de l'événement. A mon avis, cette attitude de blâme, le blâme de la victime rejoint une autre attitude que nous avons entendu récemment, dans les milieux populaires, réclamant la démolition de la maison du terroriste juif de la même manière que sont démolies les maisons des Palestiniens qui ont exécuté des opérations militaires à l'intérieur d'Israël.

Ce qui est commun à tout cela, ce n'est pas nécessairement l'attitude morale, mais l'illusion que notre citoyenneté signifie quelque chose ou qu'elle nous accorde une immunité, ou fait de nous des égaux avec les Juifs en tout, ou plutôt en rien du tout.

Dans notre situation, dans notre patrie, et écrasés par Israël, nous vivons un état où l'Etat et ses appareils bafouent nos droits, mettent des points d'interrogation sur notre droit à l'existence dans notre patrie, comme cela se passe quotidiennement dans le Naqab.

Nous sommes témoins des crimes du pouvoir qui sont encore plus nombreux que les crimes populaires, à commencer par 1948, en passant par le massacre de Kfar Qassem, de la journée de la terre, du massacre de l'Intifada al-Aqsa, si nous séparons "nos massacres" des grands massacres commis par Israël à l'encontre de notre peuple à Jénine, à Rafah, à Sabra et Chatila, et la liste est longue...

Tout cela ne nous laisse pas la possibilité de nous appuyer sur l'Etat, pour lui confier notre sécurité ou notre vie. L'Etat est la source première du danger, et le soldat israélien terroriste Zada est enfanté par la réalité israélienne et non la réalité des colonies, car les colonies sont enfantées par la réalité israélienne.

Dans la conception israélienne, les colonies ne sont pas situées hors de la légalité israélienne, et leurs habitants ne sont pas considérés moins légitimes, ou des citoyens de second degré par rapport aux Juifs à l'intérieur de la ligne verte, mais au contraire, les premiers ont des prérogatives supérieures au citoyen ordinaire. Un tel Etat ne peut nous protéger et il ne faut pas s'attendre à ce qu'il nous protège sauf à la mesure du siège et de la dénonciation que nous organisons contre lui.

Mais dans le fond, il reste hostile à notre présence dans notre partie, nous les enfants de ce pays, parce que nous sommes Palestiniens.

Dans la situation israélienne, nous sommes à Shefa'Amr, comme dans tous nos villages, toutes nos agglomérations, encerclés et assiégés, collectivement et individuellement.

Nous avons les mains enchaînées par le biais de la marginalisation, de la surveillance, de la loi et des appareils répressifs.

Quant aux mains du terrorisme juif, elles sont libres, sans aucune entrave ni dissuasion, elles jouissent de la liberté totale.

Il est de notre droit et de notre devoir de nous défendre, de défendre notre existence, et de dissuader tout terroriste prochain, ou de créer une situation où l'Etat soit contraint de le dissuader.  

Traduit par Centre d'Information sur la Résistance en Palestine